Il était dangereux pour elle de se trouver dans un tel endroit. Alors qu’elle venait de gravir les nombreux étages de la tour de Polis, Nemyt restait attentive à chaque mouvement qu’il lui était possible de percevoir. Elle n’était pas la bienvenue en ces lieux, elle n’avait aucune raison, aucun droit de s’y trouver. Qu’est-ce qu’une vagabonde pouvait bien faire dans ce lieu si emblématique du Kongeda ? Beaucoup pouvaient se le demander. Mais ce qui amusait le plus la jeune femme, s’était de savoir qu’il lui avait été possible de se faufiler parmi les gardes sans se faire voir. Passer inaperçu alors que des tensions s’élevaient hors de la ville, c’était des plus exaltant. Seulement, Nemyt ne devait pas se laisser avoir par cette réussite et laisser retomber sa méfiance. Si ce n’était pas la première fois qu’elle se rendait dans la tour, elle avait usé de pas mal de mensonge la dernière fois et cela pouvait lui coûter cher.

Les couloirs étaient vides, cela était une aubaine pour elle. La vagabonde avait pris la direction des appartements des ambassadeurs, sans aucune hésitation quant à la pièce où elle devait se rendre. Cela faisait deux jours qu’elle surveillait le représentant des Ingranronakru, en vue de s’infiltrer dans sa chambre. Non pas pour un rendez-vous secret, mais afin de récupérer une missive dont elle avait entendu parler. Ce clan, elle le surveillait avec attention alors qu’une erreur passée pouvait désormais lui coûter la vie. Bien que consciente dans ses mensonges, Nemyt s’était allée à une relation interdite dont elle payait le prix désormais. Si la Steltrona entendait parler de sa présence au sein du territoire Trikru, il en faudrait peu pour que la vagabonde se retrouve avec des assassins à ses trousses. Et si elle pouvait quitter les terres de ce clan pour sa sécurité, elle le refusait alors qu’elle s’était attachée à une Natblida présente depuis quelque temps. Alors il devenait primordial qu’elle découvre ce que contenait cette missive, et qu’elle la détruise si cela parlait d’elle.

Un léger bruit la fit s’arrêter, prête à se fondre dans l’obscurité d’un recoin. Quelqu’un venait-il ? Elle n’en avait pas l’impression alors qu’elle avait vu Kahn, l’ambassadeur cavalier, partir en réunion. De quoi lui assurer quelques heures de tranquillité, sans pour autant oublier les autres habitants des lieux. Cependant, après quelques secondes et pas le moindre signe d’une présence autre que la sienne, Nemyt souffla avant de reprendre sa route. Elle devait faire vite et ne pas perdre une seconde de plus. Heureusement, la chambre de Kahn était juste à côté et elle pu entrer sans difficulté. Là, elle se dépêcha auprès d’un meuble semblable à un bureau où se trouvait entassé de nombreux documents. Ne cherchant plus la discrétion, certaine d’être seule, elle favorisa l’efficacité en farfouillant dans tout ce qu’elle pouvait trouver, avant de remettre en place les documents. Elle ne devait pas laisser de trace, ne devant pas faire soupçonner la disparition d’un document.

Puis eurêka. Après quelques minutes, elle découvrit cette missive, prête à partir. Il lui avait fallu déplier un papier, mais les mots étaient clairs et il ne fallut pas plus de lecture avant qu’elle ne range le précieux document dans son corset. Impossible à récupérer ainsi. Et ne voulant pas mettre la puce à l’oreille sur ce qu’elle avait pris, Nemyt déroba un autre document, plus flagrant et qui focaliserait l’attention de l’ambassadeur. Un sourire victorieux avait pris place sur son visage alors qu’elle quittait la pièce. Un peu de tranquillité pour ces prochains jours.

Un couinement à ses pieds attira l’attention de la vagabonde. Wanlida, le petit renard-écureuil qui ne la quittait plus, tournait autour de ses pieds, quémandant son point d’observation favori. Heureuse d’avoir réglé son problème, Nemyt ne se fit pas prier pour le déposer sur son épaule. Elle allait quitter cette tour sans se faire prendre et tout serait parfait. Cependant, tout n’allait pas réellement l’être alors que des voix plus loin la firent sursauter. Personne en vue, mais elle n’était pas dupe, quelqu’un se dirigeait par ici.

Ni une ni deux, la vagabonde se mit à réagir. Empoignant la première poignée, elle s’introduisit dans une pièce sans plus se questionner. Dans un couloir, s’expliquer était bien trop dangereux et elle ne savait pas sur qui elle pouvait tomber. Pourtant, une surprise allait l’attendre alors qu’elle sentît Wanlida se tendre et feuler. Méfiante, Nemyt se mit à observer la pièce, avant de faire preuve de surprise. Elle se trouvait face à Uzac, l’ambassadeur de Yujleda.

— Uzac ? Oh, je suis désolée. Je me suis trompée de porte. J’espère que je ne vous ai pas dérangé.

Avec tout ce qu'il s'était passé récemment, le passage de Nemyt kom Ingranronakru semblait bien loin d'être prioritaire. La jeune femme avait été d'une amusante aptitude et nous avions confronté nos armes le temps d'un entraînement improviste qui ferait crisser mes os vieillis. La guerrière, proche de l'ambassadeur Ingranronakru, ne mâchait pas ses mots en présence de ses "supérieurs". Qu'est-ce que je pouvais haïr ce terme et cette façon de voir les choses... Mais tu devais bien me penser assez obéissant aux règles pour inventer ce personnage éborgné par le service à son clan qui, après une simple discussion, avait explosé en éclats. Soit, ce n'était pas la vengeance qui allait m'habiter, puisque la seule qui me tenait debout depuis trente ans venait d'être exécutée. La tête de Nia avait été plantée au bout d'une lame, et son sang ne pourra jamais réparer celui de ma famille perdue. De ma tendre petite sœur. J'étais tellement persuadé de ne jamais la revoir que voir ses traits en Mirage ne me semblait qu'être mon esprit dérangé par la perte de ce rayon de soleil. De celui d'Ezio. Un garçon que je ne devais et ne pouvais plus être depuis ma chute chez Yujleda. J'aurais aimé rester l'adolescent fouineur qui se délectait d'écouter les puissants du haut de sa branche en mangeant ses rations, qui notait tout ce qu'il pouvait dans un carnet qui ne lui servait à rien d'autres qu'à occuper son temps, ou qui regardait avec un mépris amusé les mères outrées se lamentant de la mauvaise éducation de la nouvelle génération. Enfin, ma génération. Les temps étaient loin et le présent avait tout de même sa saveur. Heda Lexa avait gardé le trône qui lui revenait de droit, j'avais échappé par sa clémence à des poursuites inutiles dictées par mes agissements durant la tentative de prise de pouvoir de Nia, comme tous les autres ambassadeurs. La vie pouvait reprendre, le Prince Banni prenant les rênes de son peuple malgré les appréhensions que je pouvais avoir à son sujet. Disons seulement que je préférais me méfier avant de me vouer à son sein. Après tout, sans la méfiance, je serais déjà mort. Mort en touchant Yujledakru. Mort en me faisant accuser d'espion la première fois ou la seconde. Mort entre les mains d'un chef de guerre méprisable ou entre celles d'Azgeda chevronnés faisant du mal à leur propre Coalition. Mort par ta main, peut-être. Un léger sourire enquit mon visage caché par les cheveux rebelles du matin. Oh ça non. Tu avais un certain niveau, mais dans un combat, j'aurais déjà décoché une bonne flèche avant que tu puisses m'atteindre de ta lame. Pourquoi repenser à toi maintenant ? Peut-être pour m'imposer un problème et remplir mon cœur avec des réflexions intelligentes plutôt que la crainte de sortir de mes appartements en tombant sur Rei kom Podakru. Avoir le courage de couper une Heda dans sa prise de parole, mais pas celui de parler à un jeune homme... Quelle honte. De cet élan pathétique, je me levais de mon lit et pris un bain chaud en solitaire. Bien qu'on disposait d'élégants et serviables domestiques voulant toujours s'occuper de nous à notre juste valeur, je préférais me salir les mains pour me baigner que les laisser m'ôter tout mérite de la récompense de l'eau chaude. Le luxe, je m'y étais rapidement fait. Les manières, moins. Et sûrement ne les aurais-je jamais aussi bien que les autres, mais ce que je n'avais pas en politesse innée, je le gagnais en stratégie. Plus que quatorze ans de service et il faudra un autre ambassadeur pour Yujleda. Était-il possible de passer quatorze ans à éviter une même personne vivant à quelques portes de là ?
Ce fut en sortant de mon bain que les premiers bruits de pas traversèrent le couloir. Il manquait beaucoup de protection phonique -et Dieu seul savait combien il y en manquait certaines nuits-, mais les pas devenaient des bruits de fond que personne ne remarquait outre mesure. Les cheveux plaqués en arrière pour éviter de devenir aveugle, j'enfilais un sous-vêtement, puis un pantalon large et fin, avant de jeter un coup d'œil dans le miroir reflétant un amas de cheveux à dompter plus proprement. Je m'en enquis juste à temps, terminant de les nouer quand ma porte fut secouée par ton entrée. Te zieutant grâce au miroir, je ne cachais pas ma surprise de te voir, en même temps qu'une pointe d'amusement. Et bien, quand on parlait du loup, on en voyait la queue. Proverbe Skaikru, n'est-ce pas ? Toujours était-il que tu ne manquas pas d'aplomb pour croire que je n'avais pas ouvert les yeux sur la supercherie. Je n'avais pas d'arc pour te toucher avant que tu m'atteignes, mais quelques paroles suffiront.
"Bonjour Nemyt kom Ingranronakru. Je me doute bien que vous vous êtes trompée. L'ambassadeur Ingranrona devrait être dans le jardin à cette heure, il dispose de quelques habitudes. Mais je suis sûr que vous le saviez."
Je me retournais vers toi et rejoignis mon lit pour récupérer la fameuse tunique emblématique, plus compliquée à mettre qu'il n'y paraissait, et que je délaissais parfois pour des vêtements plus propices à des expéditions en forêt.
"Comment allez-vous ? Pardonnez ma tenue, je n'attendais pas d'intrusion avant ce soir (dis-je avec humour). Ne soyez pas timide, restez un peu. Je crains que votre ambassadeur ne remarque pas votre absence car il, semble-t-il, ne connaît pas votre existence. (Ayant fini de mettre ma tenue, je croisais les bras et montrais la porte d'un coup de menton.) Je suppose que vous n'aviez pas le choix de rentrer en trombe dans une salle inconnue. Vous pouvez ressortir, à vos risques et périls, ou attendre quelques minutes à mes côtés. La vue est belle du balcon, et j'ai de quoi manger. Tout ce que je demande en échange, c'est de ne pas être pris pour un imbécile."

Si Nemyt ne s’était pas attendue à faire face à l’ambassadeur Yujleda, elle ne laissa pas le temps à la surprise de s’installer sur son visage. Son mensonge sorti aussi rapidement que si elle l’avait préparé, elle gardait cette tête quelque peu confuse par cette erreur. La jeune femme n’était pas dupe, elle se doutait qu’il y avait de forte chance que Uzac l’ait démasqué. Suffit qu’il l’ai évoqué devant son comparse et la supercherie serait démasquée. Cela avait été risqué de sa part d’user d’un tel subterfuge alors que la moindre parole dite à la mauvaise personne pouvait tout dévoiler. Un jeu risqué, mais qu’elle avait aimé mener. Si en aucun cas elle n’avait réellement voulu se moquer de l’ambassadeur de ce clan du Sud, dont elle n’avait d’ailleurs jamais foulé les terres, elle avait montré du doigt une magnifique faille dans la sécurité de cette tour emplie d’hypocrisie. Il avait été si facile pour elle se faire passer pour quelqu’un d’autre.
La réponse d’Uzac la fit sourire. Il semblait assez bien connaître les petites habitudes de Kahn, bien que celles-ci ont dû changer pour la journée. Il est vrai qu’elle l’avait souvent vu prendre la direction des jardins afin de s’offrir un peu de détente, mais en ce jour les choses avaient été différente. Elle avait profité de le voir s’absenter pour une réunion, certainement avec les siens, pour commettre son méfait.
— En effet, ne vous en faites pas. Mais Kahn a changé ses habitudes pour la journée, il n’a pas pu se rendre au jardin pour l’instant. Peut-être le fera-t-il plus tard.
Si au début, elle n’avait guère pensé à s’enfoncer dans son mensonge, se voir associé à Ingranronakru l’avait rendu méfiante. Ne savait-il donc pas ? Cela paraissait étrange, mais tout à fait plausible. Ou bien il se jouait d’elle et dans ce cas elle ne pouvait que saluer sa performance. Ce fut la suite de ses propos qui lui firent comprirent que jouer la mascarade serait alors inutile. Yujleda remportait donc cette victoire avec mérite, ce qui l’avait fait sourire amicalement. Elle avait apprécié Uzac lors de leur rencontre et elle le catégorisait parmi les personnes avec qui il était réellement intéressant de converser malgré sa propre répugnance à côtoyer cette Coalition de malheur.
Reprenant alors son assurance, Nemyt s’était éloignée de la porte. Il l’avait invité à rester après tout. Serait-ce pour lui faire payer son affront ou en apprendre plus ? Cela, elle ne le saura que plus tard. Et puis elle lui devait bien cela après cette mascarade qu’elle avait joué, bien qu’elle ne s’attendait sincèrement pas à tomber sur Uzac. La jeune femme avait simplement espéré ne pas entrer dans la chambre d’un sang chaud tel que le représentant de Delfikru ou d’Azgeda par exemple. Elle ne connaissait aucun des deux d’ailleurs.
— Dans ce cas, je m’excuse sincèrement d’avoir trompé votre intelligence. Je vous promets d’y faire honneur désormais.
Une promesse sincère de sa part. Nemyt pouvait mentir comme elle respirait, mais elle se refusait à donner sa parole sans compter la tenir. Uzac l’avait démasqué, nier la vérité ne ferait que compliquer les choses. Si elle était chanceuse, peut-être comprendrait-il et serait-il clément, sinon il lui faudrait se préparer à affronter les hommes armés de cette ville, bien qu’elle préférait se passer de cette dernière option.
— Et je n’avais pas prévu de vous surprendre à la sortie de votre bain. Mais détrompez-vous, l’ambassadeur d’Ingranronakru me connaît bien plus que je ne le veuille. Est-ce lui qui m’a démasqué auprès de vous ?
Elle était curieuse de savoir comment le voile avait été levé. Il y avait de multiple façon de découvrir la vérité en ces lieux et si le fameux Kahn n’y était pour rien, alors Nemyt devait se porter bien plus attentive. Avec cette lettre qu’elle avait dérobée et dissimulée, elle cachait sa présence aux alentours de Polis. Seulement si d’autres le savait, cela rendrait sa tâche de disparaître bien plus compliquée.
— Je pense qu’il serait malvenu de ma part de refuser votre offre. Je vous en remercie.
Nemyt n’allait en aucun cas refuser de pouvoir rester, alors qu’elle ne savait nullement ce qui pouvait l’attendre dehors. Cela ne pouvait être rien, tout comme cela pouvait être des gardes ayant eut vent d’une intrusion ou venant pour tout autre chose. Et c’était sans compter qu’elle appréciait Uzac. Elle n’avait peut-être eu aucun scrupule à s’inventer toute cette vie, mais certaines informations étaient pourtant restées véridiques. Elle n’avait fait que reformuler cette vérité pour la mettre à son avantage bien que cela n’était jamais bon pour créer des bases solides avec quelqu’un. Mais la jeune femme était ainsi, rarement capable d’être sincère dès la première rencontre. Pas depuis qu’elle avait grandi et qu’elle s’était endurcie.
— Je ne chamboule pas votre emploi du temps au moins ?