« Elle nous a trahis. C’est désormais notre ennemi, mais plus que ça, méfie-toi d’elle. Elle sait qui tu es. »

Ces mots, murmurés dans les confins de l’obscurité de la pièce, Nadia n’avait pas besoin de les entendre pour le savoir. La trahison, l’inconcevable à ses yeux, et qui avait pourtant été commis au sein de sa famille. Ces mêmes mots étaient écrits à l’encre fine sur le papier laissé sur la table, comme une preuve irréfutable. Sa propre sœur avait retourné sa veste, sans même une pensée pour toutes ces années de complicités. La mutante savait ce que cela signifiait. Eva Lluvia, cette personne née un peu plus d’un an après elle, n’était plus de sa famille.

Étrangement, Nadia ne ressentait rien face à cette trahison. Il en était ainsi et elle ne comptait pas courir après sa cadette, comme dans les histoires à l’eau de rose, afin de comprendre pourquoi une telle action. Son choix avait été fait et il lui faudrait désormais assumer les conséquences. Un reflet de son enfance, alors que la brune avait toujours agi ainsi. Toujours assumer ses actions, bien qu’il lui fût difficile de le faire fut un temps.

Cela a été dans son éducation d’être irréprochable. Tant en tant que femme, qu’en tant que futur membre de la Red Room. Elle ne le savait pas à l’époque, mais ses parents étaient de fervents adorateurs de l’Union soviétique et ils n’avaient pas hésité à confier leur fille aux Léviathan afin d’honneur leur allégeance. Une surprise pour certains alors qu’il pouvait naître un doute sur les origines de la jeune femme de par son nom. Lluvia, nullement une sonorité russe, mais bel et bien espagnol. Son père était originaire de l’autre continent, et jamais Nadia ne s’était réellement interrogée sur le pourquoi du comment il s’était trouvé en Russie, avec sa mère au bras.

C’est pour cela qu’elle ne laissait rien transparaître, ne ressentait rien de cette trahison dont on lui avait fait part. On le lui avait appris, que jamais personne n’était à l’abri des actions d’un autre. La vie est injuste. C’est ainsi et pas autrement, jamais elle ne se pliera afin d’offrir une fin heureuse à tout le monde. Ça, Nadia le sait et n’hésite d’ailleurs pas à le dire aux petits pleurnichards. Dès l’instant où on le lui a dit, après un genou écorché enfant, elle a appris à sécher ses larmes pour mieux se relever. Il en était de même quand elle était qu’une enfant parmi tant d’autres jeune fille voulant se démarquer auprès de ses éducateurs. Lorsqu’elle chutait au sol, elle se relevait pour mieux bondir sans verser la moindre larme. Alors pourquoi en verser une face au choix d’une autre ? Et pourtant, cette autre avait été dans la vie de Nadia durant bien des années, présente quand la miss connue pas mal de tournant.

L’arrivée de la jeune Eva dans la famille n’avait pas été une mince affaire. Encore bien trop jeune pour comprendre, Nadia avait senti une jalousie naître en elle sans savoir ce que cela signifiait. Ne plus avoir toute l’attention de ses parents, ça avait de quoi frustrer un bébé. Mais ses parents n’avaient pas cédé, elle n’avait pas été l’enfant roi de la famille et ce fut la ligne de conduite de son éducation qui lui permit d’être celle qu’elle était. Car si en grandissant, la jeune femme avait noué une certaine complicité avec sa sœur, il y avait toujours cette volonté d’excellence qui persistait chez elle. La peur de l’échec et du rejet était puissante chez elle et c’était son moteur pour avancer.

Grandir au sein du Léviathan en subissant l’entraînement de la Red Room n’était pas pour les frileux et les faibles d’esprit. Cela, Nadia l’avait compris bien plus vite que sa cadette alors que ses débuts avaient été difficiles. L’aînée des Lluvia n’était pas la meilleure des combattantes à son arrivée et elle avait dû mal à rivaliser face à certaines de ses partenaires. Elle ne comptait plus le nombre de fois où elle avait fini à terre, tout comme elle ne comptait plus le nombre de fois où elle s’était relevée. Car c’était une règle que Nadia s’était toujours imposé et qu’elle maintenait après toutes ces années. Un combattant doit toujours savoir se relever pour mieux faire mordre la poussière par la suite. C’était aussi ce qui la faisait tenir à l’annonce de cette trahison. Ne pas s’effondrer pour mieux affronter celle qui avait partagé sa vie et aussi pour ne pas lui donner cette jouissance de lui avoir porté un coup. Elle ne devait pas se laisser atteindre, tout comme elle n’avait jamais laisser personne le faire auparavant, et pourtant, ceux l’ayant connu dans son adolescence savait à quel point Eva avait compté pour Nadia.

Si la jeune femme avait pu tenir au sein de la Red Room, c’était grâce au soutien pour sa cadette qui avait cette facilité à être à la hauteur. Là où Nadia avait dû faire preuve de persévérance, Eva y arrivait dès le premier essai et elle avait mit cette facilité à disposition de son aînée pour l’aider. Un soutien infaillible qui allait renforcer leur lien par la suite, alors que la brunette allait se rendre compte que l’humanité lui avait fait défaut pour un tout autre cadeau.

C’est un souvenir aujourd’hui oublié, de la raison de l’apparition de sa mutation. Nadia n’était qu’une adolescente dont les hormones s’éveillaient, mais qui n’avait pas non plus la vie facile au sein de l’organisation russe. Alors était-ce parce qu’elle quittait son cocon d’enfant pour se préparer à celui de l’adulte, étaient-ce les coups portés à répétition par ces premiers échecs, ou bien était-ce le simple hasard qui décida d’éveiller ses pouvoirs ? Nadia n’en a jamais cherché la véritable raison, la considérant futile. Ce qui devait arriver était arrivé et elle avait préféré se concentrer sur le « après ? » que le « avant ».

D’abord secrète, elle refusait de dévoiler son pouvoir de crainte de se faire exclure. Les premières manifestations de celui-ci avaient été la nuit, alors que la jeune était en proie à des cauchemars, elle s’éveillait en sursaut, poussant un hurlement que jamais personne n’avait entendu. Elle-même en avait été effrayée et ne savait pas comment réagir alors qu’elle était assaillie de multitude de questions. Pas encore assez puissante, la simple justification de la terreur nocturne avait suffi, mais pas pour sa cadette. Le même esprit vif, et bien plus poussé que celui de Nadia, il y avait autre chose pour elle.

Comprenant que c’était lié à sa voix, Nadia débuta alors cette période par un profond mutisme. Elle refusait d’user de ses cordes vocales si c’était pour faire apparaître une chose qu’elle ne pouvait pas contrôler. Ses camarades considéraient que son dernier échec l’avait bien trop blessé dans son ego et que la métisse faisait du chafouin, qu’elle ne digérait pas d’être la meilleure. Nadia les laissait croire ça, sans pour autant rester à ne rien faire. Si elle ne pouvait plus user de mots, il lui fallait redoubler d’efforts.

Et pourtant aujourd’hui elle parlait. Nadia avait retrouvé son timbre de voix à l’accent de son père, sans pour autant blesser quiconque pouvait l’entendre. Il y avait eu des dérapages dans son apprentissage, mais aujourd’hui elle le contrôlait. Eva avait été celle lui bottant les fesses pour qu’elle le fasse, commençant par se retrouver en secret, jusqu’à finalement mettre au courant leurs supérieurs. Nadia avait une arme au creux de sa voix et cela pouvait être un atout considérable pour elle. Sa propre vision de sa place changea alors. Elle qui se voyait comme le petit soldat parfait de la Red Room, elle souhaitait désormais être l’excellence de celle-ci. La mutante du Leviathan, dont le cri était aussi perçant que celui des représentations mystiques de cette femme annonçant la mort. La Banshee était alors née, quittant le monde de l’illusion pour la réalité. Cependant, ce cadeau qu’elle avait perçu à sa naissance allait aussi créer une séparation avec sa cadette qui, contrairement à son aînée, semblait aussi humaine que ses comparses. Une jalousie était née, mais Nadia était bien trop aveuglée par son ambition pour le voir.

Voilà donc les conséquences de cette jalousie qu’elle n’avait jamais perçue. Sa sœur ne se confiait plus et Nadia ne la voyait pas s’éloigner peu à peu. Était-ce donc une surprise, d’apprendre aujourd’hui qu’elle avait retourné sa veste ? Pas réellement, en fin de compte. Cette dernière était bien trop gentille pour suivre le Léviathan et cela, Nadia l’avait que trop-perçu.

La tendance s’était inversée entre les deux sœurs au fil de leur entraînement. Nadia avait su se démarquer et c’est ce qui permettait aujourd’hui de l’envoyer sur le terrain. Tout n’était pas encore parfait, mais elle avait donné plus que ce qu’elle le pouvait afin que les dirigeants de l’organisme la remarque. Sa couverture avait alors été préparée. Elle était partie sur le sol américain, jouant sur le côté hispanique de sa famille afin de leurrer sa situation. Une bague à son doigt, tous pouvaient croire qu’elle était fiancée à un homme sur place, alors qu’il ne s’agissait en réalité qu’un espion menant sa propre mission. Quoi de mieux pour une femme de son temps que de laisser croire qu’elle était la docile future mariée, apprenant à vivre sur le sol américain afin de fuir l’Espagne Franquiste ? C’est là qu’elle avait perdu contact avec sa sœur, quittant l’Union Soviétique afin d’accomplir sa mission.

Maintenant qu’elle connaît son pouvoir et qu’elle sait ce dont elle est capable, elle a su faire sa place à New York. Seulement, les derniers événements l’inquiètent. Du peu qu’elle a pu percevoir, elle n’arrive pas à savoir ce qui se trame et ce qui va se préparer. La fermeture de New York la met en difficulté, réduisant ses communications au strict minimum. Elle ne s’attendait d’ailleurs pas à ce courrier, où il leur avait fallu lire entre les lignes, que lui avait transmis son faux fiancé. Les choses se compliquaient, mais Nadia comptait bien rester dans la partie. Elle comptait en savoir plus afin de jouer le rôle qui lui incomberait. Mais avant tout, il lui fallait comprendre afin d’en informer le Léviathan.

« Tout comme je sais qui elle est. Si elle est notre ennemie, alors je l’éliminerai. »